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RER C en retard !

jeudi 21 décembre 2017, par André-Jean

Jeudi 30 novembre vers 8h30, le train du RER C traverse Paris d’est en ouest. Il tarde à quitter la Gare d’Austerlitz et traine jusqu’à la station St-Michel. Le haut-parleur laisse entendre une voix faible et déformée, presque incompréhensible. Sans doute, notre conductrice veut-elle nous avertir. Nous devons patienter, des personnes marchent sur les voies. Plusieurs voyageurs téléphonent pour avertir de leur retard. La passagère en face de moi s’angoisse, s’agite. Avec les minutes, les larmes lui viennent aux yeux.

Que rate-t-elle ?
Je ne le saurai pas !
En revanche, mercredi 20 décembre matin, son texto m’aura appris que, malgré une marge de plus de 20 mn, Joëlle sera en retard pour son importante réunion. Ce jour là, un "mouvement social" aura limiter le nombre de rames du RER C.

Combien de désagréments, de douleurs, de pénalités pour les personnes mises en retard ? combien de frustrations pour quitter rapidement des enfants ou pour les laisser trop tardivement à l’école ou à la garderie ?

On ne peut certes pas risquer de blesser des promeneurs, même indélicats et contrevenants. On ne peut pas davantage interdire la défenses des droits des travailleurs ? Mais prend-on la mesure des frustrations causées par l’irrégularité chronique des transports ? Contrairement aux voyageurs du TGV, ceux du RER ne demanderont pas, pour leur grande majorité, de remboursement ou d’attestation, pressés qu’ils sont de rejoindre leur rdv. Mais à l’inverse, ne pas mesurer les conséquences de l’érosion de la qualité de ce service, c’est les cacher ou les nier. C’est ignorer les répercussions sur le moral des utilisateurs, les comportements de contournement induits, les surcoûts générés par ailleurs, les pertes de compétitivité ou de bien-être. C’est, peut-être, inciter les habitants et les travailleurs à conserver leur véhicule en ville, à occuper des surfaces considérables d’espace public entretenues par les impôts de tous, à multiplier les deux-roues qui envahissent les trottoirs, à renoncer à des emplois accessibles par des transports publics trop aléatoires, ...
Pourrait-on mieux estimer la valeur pour la société des tels dysfonctionnements ?

Les enquêtes d’opinion révèlent l’exaspération du public face à la dégradation de la régularité du service public de transport en commun de proximité au fil des décennies et de l’accroissement de son utilisation. Elles alertent les responsables politique. Mais, elles ne permettent pas suffisamment d’apprécier les moyens qu’il serait raisonnable de consacrer pour remédier à la situation et pour infléchir son évolution. Certes, tout n’est pas monnayable et il serait destructeur pour les liens sociaux de vouloir le faire. Mais à l’inverse, la mise en œuvre d’une politique d’infrastructure mobilise de lourds et longs efforts financiers. Il est donc essentiel de pouvoir chiffrer et comparer.

Précisément, des outils d’aide à la décision publique existent. Ce sont ceux utilisés pour apprécier l’opportunité, par exemple, de nouvelle lignes à grande vitesse (LGV. Régulièrement, les pouvoirs publics organisent l’actualisation de ces outils pour prendre en compte les priorités sociales et économiques collectives. La dernière en date, conduite sous l’égide du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (France-Stratégie), s’exprime avec la publication en 2013 d’un rapport sur l’Évaluation socioéconomique des investissements publics [1]. Lors de sa présentation, la septième des recommandations a été d’« Étendre le champ d’utilisation de l’analyse socioéconomique, d’une part en élargissant sa pratique à tous les secteurs, et d’autre part en l’appliquant non pas seulement aux investissements, mais également à l’entretien et à la conservation des infrastructures existantes ». Ces outils permettraient-ils d’estimer les conséquences que nous ressentons avec la dégradation de la régularité et de la ponctualité des transports en Ile-de-France ?

Le rapport mentionné donne une valeur au temps "Time is money". Nous pouvons nous lancer dans une simplification certainement abusive et critiquable, mais qui n’en est pas moins éclairante pour la situation décrite en introduction de cet article, jeudi 30 novembre 2017 à 8h30 en gare de St-Michel du RER C :

  • En Ile-de-France, la valeur du temps était estimée en 2010 entre 9 et 22 euros par heure selon les activités [2]. Retenons 15 €/h comme valeur du temps compte tenu de l’horaire matinal, et d’un peu d’inflation depuis 2010.
  • 1/2 h de retard et donc une perte de 7,50€/passager [3]
  • Rame double à deux étages transportant environ 2000 passagers. Perte estimée : 15 000 €/rame.
  • Les rames se succèdent toutes les deux minutes. Au minimum 15 rames concernées pour chaque sens soit 30 rames avec les deux sens. Perte estimée : 450 000 € au minimum.
  • D’autres coût sont induits avec des retards qui se répercutent sur les trains au-delà de la 1/2 heure d’attente, sur le management de la ligne et des réclamations des voyageurs, saturation accrue sur les autres lignes qui induisent des retards en cascade, etc. Et ceci sans prendre en compte les modifications de comportements des passagers évoqués plus haut.

450 000 € de valeur estimée perdue pour la société causée par quelques individus se promenant sur les voies un matin de novembre !. A quelle fréquence ces retards se répètent-ils pour telle ou telle autre cause ? Que peuvent représenter de tels montants ? Laissons l’imagination gamberger ou les économistes en débattre ! Que serions-nous prêts à financer pour éviter ces désagréments ? Au-delà des débats sur le caractère simpliste et discutable de cette petite estimation, quelques questions viennent à l’esprit :

  • De telles estimations ne devraient-elles pas être plus fréquentes et contribuer aux débats ?
  • Entrent-elles suffisamment dans la préparation et le choix des politiques et programmes publics ?
  • Les opérateurs de services publics sont-ils suffisamment incités à prendre en compte la valeur de tels dysfonctionnements ?

Vaste sujet, mais intéressant nos vies quotidiennes.


[1Voire la présentation du rapport. Le rapport lui-même peut être téléchargé ici

[2Pour plus de détails et pour les explications techniques, voir le chapitre 5. La valeur du temps, p. 145 et suivantes

[3Gardons nous bien de considérer que chaque passager aura perdu 7,50€. Beaucoup de passagers n’auront pas de perte monétaire. Certains employeurs acceptent-ils un retard de leurs personnels, ce qui peut signifier une perte de compétitivité. Certains voyageurs, en revanche, auront peut-être raté leur entretien d’embauche. D’autres manqueront-ils leur train ou un avion ou un rendez-vous essentiel. Ceux-ci auront perdu beaucoup. Tous ou presque perdront du confort et percevront du stress qui s’accumulera dans la journée et dans leur vie. Ce que nous dit ce chiffre c’est que la société dans son ensemble aura perdu 7,50 €/passager en moyenne statistique, ce qui justifie l’estimation collective.

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